L'éphémère en Art-Thérapie Contemporaine : une éthique fondamentale

1 mai 20257 min de lecture
L'éphémère en Art-Thérapie Contemporaine : une éthique fondamentale

Dans notre monde contemporain où tout semble devoir être conservé, archivé, partagé et exposé, l'Art-Thérapie Contemporaine (ATC) fait le choix radical de l'éphémère.

Qu'entend-on par "éphémère" en ATC ?

En Art-Thérapie Contemporaine, l'éphémère signifie que rien de ce qui se passe en séance n'est conservé physiquement. Les explorations, manipulations, agencements créés par le sujet pendant la séance ne sont ni photographiés, ni conservés, ni exposés.

Cette pratique se distingue fondamentalement d'autres approches utilisant les médiations artistiques, où les productions peuvent être conservées, interprétées, ou faire l'objet d'une analyse évolutive.

Jean-Pierre Royol, fondateur de l'ATC, exprime clairement cet engagement éthique : "L'art-thérapie ouvre un espace éphémère où le sujet peut jouer ce qui est coincé dans sa gorge sans avoir à le dire, où la part d'ombre peut se dire sans être exposée."

Les fondements théoriques de cette éthique

Cette position éthique n'est pas le fruit du hasard, mais s'inscrit dans une compréhension profonde des enjeux psychiques. L'éphémère en ATC repose sur plusieurs considérations essentielles :

1. Protéger la singularité du sujet

Le sujet qui vient en art-thérapie est souvent dans un processus de changement, de transformation. Ce qui émerge en séance n'est qu'un moment dans ce parcours, une étape. Figer ce moment dans une production conservée risquerait d'enfermer le sujet dans une image de lui-même qui ne lui correspond déjà plus.

2. Échapper à la logique de l'objet et de la performance

Notre société valorise la production, le résultat tangible, la performance. L'éphémère permet de sortir de cette logique et d'ouvrir un espace où ce qui compte n'est pas ce qui est produit, mais ce qui est vécu, ressenti, traversé.

3. Créer un espace de liberté absolue

Savoir que rien ne sera conservé ni jugé permet au sujet d'explorer sans crainte d'être évalué ou interprété. Cette liberté est précieuse et thérapeutique en elle-même. Elle permet d'oser des gestes, des explorations qui seraient peut-être impossibles dans un cadre où tout est conservé.

Le paradoxe fécond : ce qui disparaît laisse des traces

L'intérêt de cette approche réside dans un paradoxe fondamental : c'est précisément parce que rien n'est conservé que quelque chose peut véritablement s'inscrire. Comme l'écrivait Eugène Ionesco, "Seul l'éphémère dure".

En effet, ce qui se joue dans l'espace art-thérapeutique n'est pas perdu - il s'inscrit différemment :

  • Non pas comme un objet extérieur que l'on pourrait contempler, mais comme une expérience vécue qui modifie subtilement notre rapport au monde

  • Non pas comme une trace visible aux yeux de tous, mais comme une trace intime, personnelle, qui appartient au sujet seul

  • Non pas comme un témoignage figé, mais comme un processus vivant qui continue à évoluer

Ces traces invisibles sont d'autant plus profondes qu'elles échappent à toute tentative de captation ou d'interprétation. Elles appartiennent entièrement au sujet qui les a vécues.

L'art-thérapeute comme gardien de l'éphémère

Dans ce processus, l'art-thérapeute joue un rôle essentiel : celui de gardien de l'éphémère. Il crée et maintient les conditions de cette expérience unique :

  • En proposant un cadre et des dispositifs qui permettent l'expression sans imposer de production

  • En s'abstenant de toute interprétation qui viendrait figer le sens de ce qui émerge

  • En respectant scrupuleusement la dimension éphémère de ce qui se joue, sans chercher à en garder trace

  • En pratiquant lui-même une forme d'effacement, une "absence de soi" qui permet au sujet d'investir pleinement l'espace

Cette posture implique de renoncer à la tentation de conserver, d'interpréter ou d'exposer, pour se tenir fermement dans cette éthique de l'éphémère.

Une respiration psychique nécessaire

Dans un monde saturé d'images, de traces numériques, d'archives permanentes, l'espace éphémère proposé par l'ATC apparaît comme une respiration psychique essentielle. Il offre au sujet :

  • Un espace où il peut être sans être observé

  • Un temps où il peut explorer sans être jugé

  • Un lieu où il peut s'exprimer sans être interprété

Cette respiration est particulièrement précieuse dans notre époque où tout semble devoir être exposé, partagé, conservé. Elle permet au sujet de renouer avec une part d'intimité, de secret, d'inexprimé qui échappe à la logique de l'exposition permanente.

L'éphémère comme invitation à la créativité psychique

En ne proposant aucune solution toute faite, aucun modèle à reproduire, aucune interprétation définitive, l'art-thérapie contemporaine invite le sujet à développer sa propre créativité psychique, à bricoler ses propres solutions.

Cette invitation s'inscrit dans un cadre éphémère, où chaque séance est une nouvelle exploration, un nouveau possible, sans le poids des productions antérieures.

L'éphémère devient ainsi le garant d'une liberté toujours renouvelée, d'une possibilité constante de se réinventer, de s'essayer à de nouvelles manières d'être au monde.

Conclusion : l'éphémère comme éthique du respect

L'éphémère en ATC n'est pas un choix anecdotique ou une simple option méthodologique. Il est le cœur d'une éthique du respect - respect du sujet dans sa complexité et son devenir, respect de la vie psychique dans son mouvement perpétuel, respect de l'intime et du secret.

Cette éthique fait de l'Art-Thérapie Contemporaine une pratique profondément respectueuse de la singularité de chaque être, une pratique qui offre un espace de liberté précieux dans un monde où tout semble devoir être capturé, conservé, exposé.

Comme le souligne Jean-Pierre Royol : "L'éphémère n'est pas une caractéristique accessoire ou secondaire de l'art-thérapie contemporaine, mais sa condition même d'existence éthique."

Sources:

Jean-Pierre Royol, Au fil de l'éphémère, Profacom éditions, 2017

Jean-Pierre Royol, Quand l'inaccessible est toile, Profacom éditions, 2017

Jean-Pierre Royol, Le souffle du neutre, Profacom éditions, 2013

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